Dès 1971, Paul IV publie la lettre apostolique Octogesima Advenians avec une petite phrase qui sonne de façon prophétique, avant même la publication du rapport Meadows : « Par une exploitation inconsidérée de la nature [l'être humain] risque de la détruire et d'être à son tour la victime de cette dégradation ». Nous savons tous désormais que l'humanité est entrée dans une phase de rupture historique. Elle a commencé à altérer dangereusement la face de la terre, c'est à dire la biosphère. La science a formalisé 9 processus physico-chimiques et biologiques essentiels au maintien de la vie, dont six se trouvent déjà en zone dangereuse (Changement climatique, Pollution chimique, cycles de l'Azote et du Phosphore, Déboisement global, Perte de biodiversité, Utilisation des eaux douces). La maîtrise des techniques et des énergies permet l'accélération de ces dégradations. Les ressorts de cet appétit boulimique commencent à être bien connus : la peur de manquer, profondément inscrite dans nos gênes d'hominidés fragiles, les idéologies productivistes et néolibérales attisées par la mise en concurrence des personnes et des nations, nous poussent à accumuler toujours plus, plus que nécessaire, et à nous approprier sans limite les richesses que la terre prodigue, même au détriment de nos semblables.
Face à ces défis existentiels, l'humanité orgueilleuse se présente paradoxalement en position de faiblesse. D'abord, même si les changements de la biosphère s'accélèrent de façon perceptible, ils restent lents à l'échelle de nos sens conçus pour le court terme, ce qui suscite scepticisme et insouciance. Ensuite, notre civilisation a développé son Veau d'or, une véritable Foi prométhéenne en sa force technologique, qui l'aveugle et l'entraîne dans une course à l’échalote mortifère. Enfin l'humanité est très divisée, et trouve trop facilement le chemin de la guerre, elle est donc incapable de négocier une réponse collective coordonnée.
Dotés de raison et de volonté, nous sommes (en principe) capables d'identifier nos faiblesses et de dominer nos pulsions. Mais ne nous leurrons pas, les tentations seront grandes de nous recroqueviller sur nos égoïsmes naturels, de fermer la porte aux étrangers arrachés à leur terre par les désordres climatiques ou politiques, de nous accrocher à de vieilles idéologies inopérantes, facteurs de splendide isolement, de fractures sociales, de frictions internationales, ou à des superstitions tenaces, qui poussent à accélérer encore la croissance en pariant sur le ruissellement des richesses.
N'entrons pas dans ces tentations délétères. Nous, humains, habitants du village global, avons à construire ensemble une commune humanité, consciente de ce qu'elle doit à la création, soucieuse de protéger et favoriser la vie dans sa diversité, collectivement responsable de chacun de ces petits qui font la beauté du monde, pas seulement parce que nous entendons sa clameur, mais tout simplement parce que nous en avons un besoin vital.
Nous disposons de ressources puissantes qu'il faut cultiver. Les principales sont de nature spirituelle. En ce qui nous concerne, disciples du Christ et fils de Saint Paul, nous savons que la sobriété en tout, la bienveillance à l'égard du prochain, le sens du partage et de la rencontre, la recherche de l'unité sont des atouts dans la bataille qui s'engage.
L'objectif de sobriété est couramment exprimé en tonnes d'équivalent CO2 émis par an, et il faudrait passer rapidement de 9 à 2. C'est très difficile par soi-même, car une grande part relève des comportements collectifs et de l'organisation sociale. C'est pourquoi chacun doit être capable à la fois de faire effort sur lui même, s'impliquer dans des collectifs, et s'engager politiquement. La sobriété est avant tout une façon d'être au monde, reconnaissant de ce qu'il nous donne, respectueux de sa merveilleuse diversité et de ses équilibres, soucieux d'échapper à notre culture du déchet. La sobriété est libératrice (LS' 223).
L'écoute bienveillante et fraternelle, nous le savons bien, n'est facile qu'en principe, et nous devons travailler sur nous mêmes en permanence, en nous aidant les uns les autres (Galates 6). Or c'est évidemment encore plus difficile dès lors que des groupes se forment, avec des intérêts divergents, et cela devient mission impossible lorsque des nations s'érigent en gardiens de leurs intérêts particuliers au détriment du Bien commun universel qu'est la paix. Ainsi le geste de paix que nous partageons au cours de l'Eucharistie est-il le plus beau symbole d'une Église vivante. Ainsi la diplomatie et l'entremise de groupes comme Sant' Egidio sont-elles des visages du Christ réconciliateur.
L'unité entre nous est un trésor qu'il nous faut chérir et protéger. Nous n'avons certes pas tous la même vision des choses, de la vie, de Dieu même, mais nous devons préserver ce qui nous est commun, cette petite étincelle de divinité plantée au cœur de chacun, et qui confère à chacun une inaliénable dignité. Elle est la vraie source de cette fraternité dont chacun des petits groupes auxquels nous apportons notre bonne volonté est une forme de travaux pratiques, pour que, au plus haut niveau politique, nous devenions capables de taire ce qui nous divise, et de construire le Bien Commun.
Devenons donc véritablement frères et sœurs, humblement au service de la vie, en nous appuyant sur l'enseignement de l’Église : la confiance, la préférence pour les petits, la reconnaissance de la dignité de chaque personne, l'équité dans le partage, la recherche du bien commun dans une gouvernance propre à assurer la paix. C'est un programme révolutionnaire, certes, puisqu'il est chrétien. Il est porteur de notre Espérance, c'est à dire d'une Foi mise en marche par la Charité. Tout comme aux débuts de l’Église, soyons le levain de la pâte, mettons notre courage et nos facultés au service de la construction d'une nouvelle arche de Noé.
François PILLARD, février 2024